Le cahier interdit – Alba de Céspedes

Quaderno proibito, 1952. Traduit de l’italien par Juliette Bertrand (et révisée par Marc Lesage pour l’édition de 2023). Éditions du Seuil, 1954 – réédition chez Gallimard en mai 2023 ; 336 p.

Mon avis :

Avant de partir en vacances une semaine dans le nord de l’Italie début juillet, j’ai eu la chance de tomber sur l’avis de Sonia (@soso_books_moods_and_more sur instagram) sur ce roman de 1950, réédité en français en mai dernier. Je me suis sentie immédiatement attirée par cette histoire et mon intuition est tombée pile, car Le cahier interdit fut une découverte marquante. J’y pense encore régulièrement (je l’ai terminé mi-juillet) avec une impression bouillonnante et feutrée d’authenticité et de vie.

Rome, années 50. Valeria a une quarantaine d’années, fait partie de la petite bourgeoisie et vit dans un appartement avec son mari et ses deux grands enfants. C’est une mère et une épouse dévouée, qui gère tout de a à z chez elle et travaille en plus à temps partiel dans un bureau, pour arrondir le budget de son ménage.

Un matin, sur une impulsion qui la surprend elle-même, Valeria achète un cahier neuf, dans lequel elle commence en cachette à raconter son quotidien.

Les jours passent et de plus en plus les mots écrits la révèlent à elle-même, comme si le cahier ouvert était devenu un miroir, à la surface duquel elle se découvre – et dont les tréfonds mouvants inquiètent et troublent. Un soi qu’elle ne soupçonnait pas, qu’elle avait muselé, enfoui et renié depuis longtemps, depuis toujours – pour rentrer dans le moule, pour cocher toutes les cases dictées par les conventions, la société, sa famille, son éducation.

Introspection, réflexion, on voit se dessiner une vie qui se fissure, dans une société italienne d’après-guerre en pleine mutation. Sa fille s’émancipe et son fils se cherche, son mari a peut-être d’autres rêves. La société change et le pouvoir de la religion s’effrite, les gens commencent à pouvoir penser par eux-mêmes et non plus à l’aune d’une morale à oeillères imposées. Valeria réalise à mesure des jours qui passent que peut-être elle aussi aspire à autre chose, et l’on aperçoit en transparence entre les lignes une fleur en bourgeon qui se déploie et tente de s’épanouir.

Alba de Céspedes développe un merveilleux talent pour incarner tous ses personnages, devenus vivants à nos yeux, alors qu’il n’y a que la voix de Valeria. Le propos est bien dosé, et la plume ferme, élégante et fluide. Ce n’est pas évident de réussir à ne pas tourner en rond ni lasser, avec ce type de narration ! Le roman se tient de bout en bout, et la fin est déchirante.

A sa parution, Le cahier interdit a dû à n’en pas douter éveiller certaines consciences et en soutenir d’autres. Son discours féministe et pour le libre arbitre réjouit et inquiète tout à la fois car finalement tout cela c’était hier et encore aujourd’hui pour beaucoup – et l’on sait que certains voudraient bien ici-même en tapisser nos demains.

Un coup de cœur – de ceux à rebours, qui s’imposent dans le temps.

« Me voilà obligée de nouveau d’écrire la nuit. Pendant le jour, je n’ai pas un instant de répit. Du reste, je m’aperçois que personne ne s’étonne ou ne proteste quand je suis debout, le soir, en déclarant que j’ai encore quelque corvée. N’avoir que cette heure de solitude pour écrire me fait comprendre que c’est la première fois — après vingt-trois ans de mariage — que je consacre un peu de temps à moi-même. »

  5 comments for “Le cahier interdit – Alba de Céspedes

  1. 22 août 2023 à 21 h 14 min

    quel extrait d’une tristesse à pleurer !!

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  2. 23 août 2023 à 10 h 30 min

    Un coup de coeur à rebours… ça c’est bon signe ! Je l’avais noté, je souligne !

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    • 26 août 2023 à 11 h 08 min

      Oui tu as raison, je n’y avais pas pensé, c’est souvent bon signe effectivement 🙂
      Je ne sais pas comment tu procèdes, mais pour ma part depuis quelques années je note mes lectures, je veux dire je les classe, je leur donne une note, voilà (parce que je compile mes listes de lectures depuis toujours lol), dès que j’ai terminé le livre : coups de coeur, excellent, très bon moment de lecture, bien, pas mal, moyen, etc, avec des étoiles et des demi-étoiles pour mieux fixer les choses dans ma tête. je me suis en effet rendu compte que si je ne faisais pas ça, je ne me souvenais même plus parfois, dix ans plus tard (ou bien moins !), quel avait été mon degré d’affection pour un livre, ou par exemple, dans une bibliographie conséquente, lesquels j’avais les mieux aimé. Mais paradoxalement, cette liste est phénoménalement évolutive et au cours d’une année, il y a de nombreux livres qui chutent – ou au contraire qui grimpent. Et donc, il y a des coups de coeur qui sont comme des feux de paille et ne me laissent plus aucun souvenir 2 mois plus tard (je pense au dernier de Sally Rooney, haha). Et il y a ces livres qui les semaines passant, s’imposent. Généralement, ce sont ceux-là qui restent, effectivement 🙂
      Souvent j’évite maintenant d’écrire mon avis à chaud pour ça justement : je laisse infuser, pour voir ce qui reste au fond du tamis quand je secoue à nouveau mes ressentis 😛

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      • 26 août 2023 à 12 h 41 min

        Je note aussi par étoiles, pour mon usage personnel, et je fais souvent des ajustements après coup. 😉

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