Éditions de la Table Ronde, 1980, 1999, 2008, mai 2018
Ma chronique :
Cette anthologie a été un moment de lecture et de découverte particulièrement intéressant et plaisant. Dans ces 480 pages, Charles Le Quintrec rassemble soixante-dix Poètes de Bretagne. Beaucoup bien sûr sont nés sur le sol Breton, à Lannion, Brest, Quistinic, Groix, Nantes (ici, Bretonne) ou ailleurs ; d’autres ont vu le jour dans de nombreux coins de France, d’un ou des deux parents Bretons ; et d’autres encore, comme Saint-Pol Roux ou Georges Perros, ont choisi la Bretagne, sont devenus Bretons. Comme le dit joliment Charles Le Quintrec : « La Bretagne n’est pas tout entière une terre et une mer, moins encore un lieu géographique, puisque la vraie Bretagne n’existe nulle part ailleurs que dans le coeur de ses enfants. »
L’illustration de couverture (de Martin Jarrie) de cette toute nouvelle réédition en poche est particulièrement belle, et le menhir christianisé aurait plu à Charles Le Quintrec, ce « Rimbaud chrétien » (selon Pierre de Boisdeffre) dont l’inspiration « vient à la fois des Évangiles et de la forêt de Brocéliande ». A noter qu’un temps j’ai craint que la foi de Charles Le Quintrec ne gâche un peu le plaisir de ma lecture, vu ma non-croyance, mais en fait non. Ici prime la poésie. Cette anthologie a été publiée pour la première fois en 1980 et son introduction fut écrite en 1979 (j’ai bien rit quand Charles Le Quintrec raconte Alain Lemoigne en disant « ce jeune professeur » : haha, il est né en 1948 !). Les années ont passé, mais la lumière dispensée par les textes présentés n’a pas faibli d’un pouillème.
Après une longue introduction où il explique et argumente ses choix d’auteurs et de textes – et au passage règle quelques comptes, Charles Le Quintrec va présenter chacun tour à tour – les chapitres se suivent plus ou moins dans l’ordre chronologique de la naissance des poètes.ses. Il part de Chateaubriand né en 1768 à St-Malo et termine par Marilyse Le Roux, née en 1955 à Vannes. Son propos est toujours très personnel, vivant, inspiré et truffé d’anecdotes de vie ou de souvenirs (en fin d‘ouvrage une table des auteurs liste d’une manière concise et lisible les dates et œuvres majeures, c’est très bien fichu). Ensuite viennent, pour chacun, quelques poèmes choisis. Passionnant.
Nous avançons
dans l’espace bleu
pour l’amour d’une imageUn signe
que nous pourrions reconnaître
de l’impossible voyageRien ne nous retient
au dos des arbres
Le ciel est toujours plus loinDevant nous
les pierres ont des ailes
les feuilles sont des oiseaux vivantsNous avançons dans ce bleu rêvé
pour mieux revenir ici
où croît le désir
à l’abri du rien[Marilyse Leroux]
Je connaissais certains auteurs pour leur prose, Pierre-Jakez Hélias et son Cheval d’orgueil, Jean Markale dont j’ai lu – entre autre – la somme du Cycle du Graal, Henri et Yann Queffelec (plus jeune j’ai dévoré de ce dernier tous les romans, Noces barbares en tête). J’avais déjà lu par contre les poèmes d’Eugène Guillevic ou René-Guy Cadou ; mais la plupart des autres m’étaient inconnus, du moins leur œuvre. Que de belles découvertes, dans cette anthologie ! Yvon le Men (Désirer, p. 296), Gwenn-Aël Bolloré (Automne, p. 326), Jean Langier (L’arpenteur des pluies, p. 242), Gérard le Gouic (Dès la nuit tombée, p. 248), Michel Manoll (Le jour qui parle, p. 218) ; entre autres.
La mer à Montparnasse est debout sur l’abîme
Le froid fouille ton ombre entre deux policiers
Ton cri devient posthume entre l’aube et la mer
Tu racontais la mer à qui la méritait
La mer à Montparnasse est debout sur la pierre
Et se mêle aux mendiants dans les yeux des rochers[Yann Quéfellec]
Les styles des poètes sont innombrables et différents, de Tristan Corbière à René-Guy Cadou, de Victor Segalen à Xavier Grall, Alfred Jarry ou Max Jacob. Pour Yves La Prairie, « la poésie est une flamme de vie portée au-delà de l’horizon des habitudes », Paul-Alexis Robic « surprend partout un murmure d’humanité qu’il ne veut pas laisser perdre ». Les mots d’André Guégan « sont drossés […] comme s’il avait de la tempête dans la bouche ». Contemplatifs, inventifs, ombrageux ou sensuels, ils ont tous en commun une certaine ferveur, une simplicité grave, un sens du partage.
J’ai retrouvé avec bonheur Louis Guillaume (dont j’adore depuis longtemps Cris de Sable) et Gilles Baudry (moine à l’abbaye de Landévennec) ; j’ai découvert aussi Pierre Kérébel (dont j’étais obligée de relever le patronyme, héhé) et sa splendide Berceuse océane (p. 355)
Éclos d’un ciel d’épiphanie
ou de l’extase d’une branchel’oiseau
ce beau fruit
du silence.[Gilles Baudry]
Il y aurait tant à dire encore. Poètes de Bretagne est une anthologie à découvrir, à lire d’une traite ou à savourer par miettes, pour ensuite aller creuser dans les œuvres des auteurs préférés. Vive la Bretagne, et un grand merci aux éditions La Table Ronde !
Je vous partage aussi Cris de sable d’Alain Guillaume, qui n’est pas dans cette anthologie, mais aurait pu !
Le jour blesse la mer qui se cabre et gémit
|
Magnifique : « Mais le ressac éclate au reproche du vent Tandis que nul n’entend les cris de ta poitrine. »
J’aimeAimé par 1 personne
Tellement ♥
J’aimeJ’aime
j’aime beaucoup les extraits. Je ne connais pas Charles le Quintrec donc je note… J’aie bien Yann Quefellec notamment « les noces barbares » donc à explorer
J’aimeJ’aime
Un bonheur de lire ton billet et de retrouver tous ces poètes de Bretagne. Trugarez ( merci en breton)
J’aimeJ’aime
Ce qu’il dit de la Bretagne qui est dans le « cœur de ses enfants » c’est très beau. Un livre qui doit être passionnant. Merci pour ce très beau partage. Passe un excellent weekend, Bises bretonnes justement 😉 🙂
J’aimeJ’aime