The Girls – Emma Cline

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The Girls, 2016. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch. Quai Voltaire / La Table ronde, août 2016.

Ma chronique :

Premier roman d’Emma Cline, jeune américaine de vingt-sept ans, The Girls est un roman aussi dérangeant que fascinant, à l’écriture brillante (et qui plus est superbement traduit). Cette lecture a été pour moi un coup de (poing au) cœur.

Eté 1969, nord de la Californie. Evie a quatorze ans. Sensible, intelligente, paumée, elle étouffe, enlisée entre incertitudes, désillusions et abandons affectifs. « Le désir, à cette époque, provenait en grande partie d’un acte déterminé. Se donner tant de mal pour gommer les contours bruts, décevants, des garçons, et façonner quelqu’un qu’on pourrait aimer. ». Jusqu’à ce qu’elle croise les Filles (celles du titre). Confrontée à ces personnalités décapantes, dangereuses, « aussi racées et inconscientes que des requins qui fendent les flots », Evie va (re)naître, subjuguée par Suzanne. Ces filles comètes et leur clique irradient et vont électriser l’existence de l’adolescente, lui donner un sens, même s’il est interdit ; un sens unique.

Ces filles, ce sont celles inspirées par la « Famille » de Charles Manson, dont Emma Cline réinvente l’été 1969 ; l’été qui culminera avec les massacres tristement célèbres de Sharon Tate et de nombreux autres.

Ici, le gourou charismatique s’appelle Russell. « Je n’en revenais pas de la rapidité avec laquelle Russell les persuadait de se débarrasser de leurs possessions et les plaçait sur la sellette pour que leur générosité devienne un théâtre forcé. Ils abandonnaient leurs voitures, leurs carnets de chèque, et même une fois une alliance en or, avec le soulagement stupéfait et épuisé du noyé qui se livre finalement à la vague. ». Mais ce sont les filles, et non lui, qu’Emma Cline a mis au coeur de son livre. La vie abîmée de ces jeunes femmes, souvent encore adolescentes, va les mener à Russell. Leur loyauté indéfectible envers ce leader à la folie destructrice va ensuite les transformer en créatures sanguinaires. « Je sentais la haine durcir en moi et c’était presque agréable, tellement c’était énorme, pur et intense. »

Ce sont leurs personnalités qu’Emma Cline étudie. Elle détaille avec talent les psychologies, dissèque, questionne les rapports humains. Mais en changeant les noms des personnages, des lieux, en déplaçant les faits et en modifiant certaines occurrences, l’auteure a donné également à l’histoire une dimension universelle, celle de la genèse d’autres radicalisations meurtrières ; celle aussi d’un roman d’apprentissage adolescent. Tout est possible. Le pire, le meilleur, sur le fil d’un choix, d’une respiration, d’un battement de coeur. « Depuis que j’avais rencontré Suzanne, ma vie avait pris un relief tranchant et mystérieux, qui dévoilait un monde au-delà du monde connu ».

Ici, pas de torrents d’hémoglobine sensationnaliste. Emma Cline n’a nul besoin de descriptions ignobles pour distiller le malaise et l’horreur. Quel talent.

The Girls est un premier roman abouti qui impressionne, tant par la maîtrise de la langue et des émotions humaines que par la profondeur et l’ambivalence des personnages. Un auteur à découvrir et à suivre !
Un grand merci aux éditions la Table ronde pour cet envoi.

  21 comments for “The Girls – Emma Cline

  1. 28 août 2016 à 6 h 41 min

    Annoncé comme l’évènement de la rentrée, je m’attendais à un récit plus poignant. J’ai retrouvé ici un film vu il y a des années sur une jeune fille perdue dans une secte ( il faut que je retrouve le titre). Par contre, ce qui m’ a intèressée est cette façon de montrer la fragilité de l’adolescence. Un âge où l’on a besoin d’une réelle attention, d’un regard valorisant. Je vais essayer de rédiger ma chronique pour la semaine prochaine.

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    • 28 août 2016 à 19 h 38 min

      Je suis impatiente de lire ta chronique ! Pour ma part j’ai été très très « poignée », si on peut dire ça comme ça. J’ai été moi aussi très sensible à sa manière de parler de l’adolescence, tellement juste. Merci pour ton commentaire 🙂

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  2. 28 août 2016 à 8 h 46 min

    Ce livre me fait tellement tellement envie! Et cette critique n’arrange rien. Elle est parfaite!

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    • 28 août 2016 à 19 h 28 min

      Trop aimable 🙂 J’espère que tu le liras bientôt, j’aurais hâte de lire ta chronique !

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  3. 28 août 2016 à 9 h 00 min

    Je pense au film « Martha marcy May marlen » …..
    merci pour ta chronique, ce livre m’intéresse vraiment !!! Bon dimanche

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    • 28 août 2016 à 19 h 24 min

      Je note ta référence de film avec un grand intérêt ! Merci 🙂 Bonne soirée à toi, bises !

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  4. 28 août 2016 à 11 h 32 min

    J’ai lu une critique très bonne dans Télérama de ce livre aussi je l’avais mis sur ma liste d’achat. Ton avis confirme ce que je pensais à savoir qu’il faut absolument que je le lise. Merci pour cette belle chronique. Passe une belle journée ! Bises. 🙂

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    • 28 août 2016 à 19 h 22 min

      Merci Frédéric, et oui je pense que c’est un livre qui devrait te plaire. Riche et tout en finesse. Bonne soirée ! Bises 🙂

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  5. 28 août 2016 à 13 h 26 min

    Il m’avait tapé dans l’oeil par son résumé, je pense que je vais le lire après ton avis =)

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    • 28 août 2016 à 19 h 21 min

      Pareil, son résumé m’avait captée et je ne regrette pas de m’y être plongée ! Un voyage qui laisse des traces ; une belle lecture comme on les aime.

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  6. 28 août 2016 à 16 h 29 min

    Une parution que je n’avais pas remarquée mais ta chronique donne envie ! 🙂

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  7. 28 août 2016 à 17 h 47 min

    Je l’ai lu de biais car il fait partie de mes projets de lecture ! Une belle chance que tu as eu de le recevoir. 🙂

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    • 28 août 2016 à 19 h 17 min

      Belle future lecture à toi, alors 🙂 Un autre livre est sorti qui parle aussi des « filles » de Charles Manson, California Girls de Simon Liberati, qui semble plus mystique et plus cru. Mais comme c’est celui-ci que je voulais lire, quelle chance, oui 🙂

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  8. 1 septembre 2016 à 9 h 26 min

    Merci pour ta visite 🙂
    J’ai failli l’acheter en lisant le quatrième de couverte. J’ai ensuite pensé à un livre que j’avais déjà lu :
    http://www.babelio.com/livres/McCreight-Amelia/737788
    qui me semble fort ressembler à celui-ci. Je ne vais pas l’affirmer, juste une supposition de ma part 🙂
    Un sujet grave certes ainsi que le harcèlement dans une école pour une adolescente, et tout ce qui est sectaire. J’ai beaucoup aimé Amelia, surtout la fin très surprenante. Il s’agit d’une enquête suite à son suicide dans un contexte qui est vraiment bien développé dans ce livre : Amélia.
    Alors je ne sais pas trop pour ce livre que j’ai mis dans ma liste d’envies 🙂
    Amicalement.
    Geneviève

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  9. Cat
    4 septembre 2016 à 16 h 55 min

    Beaucoup aimé ta chronique. Je note…

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  10. 15 octobre 2016 à 14 h 27 min

    Je viens relire ta chronique maintenant que j’ai fini le roman et écrit la mienne. Mes impressions sont les mêmes. J’ai beaucoup aimé la rencontre avec Emma Cline aussi. Bon, vivement son prochain bouquin! ☺

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    • 15 octobre 2016 à 19 h 34 min

      Je viens d’aller lire ta chronique, effectivement 🙂 C’est génial que tu aies pu assister à cette rencontre ! Et oui, vivement le prochain, dis donc.

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