I am, I am, I am, 2018. Traduit par Sarah Tardy. Éditions Belfond, mars 2019
Ma chronique :
« La mort m’a frôlée sur ce sentier, de si près que je l’ai sentie, mais c’est une autre fille qu’elle a attrapée et emportée avec elle. »
I am, I am, I am, le nouveau livre de Maggie O’Farrell, est une autobiographie qu’elle nous livre au prisme d’un fil rouge, celui de toutes les fois où la mort l’a effleurée. Dix-sept chapitres, comme autant de nouvelles, d’instantanés, de tranches de sa vie qu’elle conte, admirablement. Sans fard, sans pathos, avec lucidité, franchise et humilité. Pour tout dire, j’ai trouvé les parties assez inégales, mais l’ensemble est vraiment à part, et bouleversant. Une fois terminé, j’ai su que ce livre était un coup de coeur, qu’il m’a marquée, que j’en relirai des passages.
I am, I am, I am a une construction non linéaire. Dans un chapitre, Maggie a trente-trois ans, le suivant vingt-huit, puis dix-neuf, trois, vingt-six, vingt-deux, etc. Sa vie déjà très remplie de gens et d’expériences peu communes se trouve ainsi comme décuplée. L’effet est assez saisissant. Mais surtout, cette construction finement réfléchie nous permet d’aborder le point d’orgue des deux derniers chapitres, avec en main toutes les cartes pour vraiment les comprendre.
A huit ans, en 1980, Maggie O’Farrell a contracté un virus. Encéphalite, syndrome cérébelleux, ataxie, elle a passé un an en fauteuil roulant et gardé une faiblesse musculaire, ainsi que des dommages nerveux et cérébraux. Elle ne pouvait plus ni marcher ni écrire, elle a même été tout un temps entièrement paralysée (comme « une mouche piégée dans de l’ambre ») (j’ai pensé à Emil Ferris ! – sauf que cette dernière, c’était à quarante ans). Elle en parle plus précisément dans le chapitre « Le cervelet, 1980 ». Quel récit, quel choc. J’ai vibré d’empathie tout du long. L’extrême violence maltraitante des institutions de santé. La cruauté des enfants en milieu scolaire. Et Maggie O’Farrell nous raconte tout cela sans aucun pathos, avec même souvent de l’humour, vraiment, chapeau.
On retrouve dans certains chapitres des éléments de sa vie dont elle a parlé dans ses romans – c’est émouvant. Surtout La distance entre nous, avec Hong-Kong, l’hôtel en Écosse et la maladie de la sœur de l’héroïne. Mais aussi Assez de bleu dans le ciel et l’eczéma chronique du garçon.
En effet, la fille de Maggie souffre depuis sa naisance d’un eczéma extrêmement sévère, compliqué par de multiples allergies. Le dernier chapitre de I am, I am, I am raconte le choc anaphylactique de la petite alors qu’ils sont perdus dans la campagne italienne, sans couverture réseau ni GPS (le chapitre « Ma fille, aujourd’hui »). Elle parle de ses enfants, de la maternité, de ses grossesses, fausses couches et accouchements. Le chapitre « Le ventre, 2003 », et l’épisode d’une césarienne épouvantable est édifiant. Le corps médical en prend encore un coup, surtout certains médecins qui n’écoutent rien et le sous-effectif récurrent.
J’ai beaucoup aimé aussi la partie « Les poumons, 2010 » où elle évoque longuement sa découverte de Rome à dix-sept ans. J’avais le même âge qu’elle quand je suis allée à Florence pour la première fois, Rome ce fut l’année suivante, et comme elle ce fut un moment charnière de ma vie, un avant un après. Une révélation. « Je n’avais rien vu de tel. Tout me plaisait au point d’en avoir mal. » Pour Maggie O’Farrell, les voyages sont « la seule chose, en dehors de l’écriture, capable d’apaiser le bouillonnement persistant, continu qui [l]’anime »
I am, I am, I am est un livre cathartique. Émaillé d’expériences peu communes (sauter d’une jetée en Écosse en plein hiver ou se trouver dans un avion en chute libre), de voyages, (sa vie à Hong-Kong, sa visite du temple bouddhiste le plus sacré de Chine, le Transsibérien, des vacances en France, au Chili, une mission en Afrique), on la voit chercher sa voie, tomber amoureuse, écrire son premier roman, essayer à toute force d’avoir un deuxième enfant. C’est elle, et puis c’est nous. C’est sa vie mais aussi la nôtre, enfants de nos siècles, nos questionnements, nos errances, le miracle à chaque instant d’être en vie. A ceux qui lui disent, après tout ce qu’elle a vécu et qu’elle vit encore, mince tu n’as pas eu de chance, abasourdie, elle leur répond, mais si, tellement ! Je suis toujours en vie.
Un coup de coeur, donc, pour ce témoignage remarquable. Merci Maggie O’Farrell. Merci Sarah Tardy pour cette traduction lumineuse.
« Il faut attendre l’inattendu, le saisir à bras le corps. »
♥
NB : Vous le savez, j’adore Maggie O’Farrell. Ses sept romans sont traduits en français, chez Belfond pour le grand format, chez 10-18 en poche. Je les ai tous lus. Quatre sont chroniqués ici (j’ai lu les autres avant d’écrire des chroniques, bien avant de créer ce blog !) : L’étrange disparition d’Esme Lennox, En cas de forte chaleur, Assez de bleu dans le ciel, La distance entre nous
Et je lui ai consacré une fiche auteur (qu’il faut que je mette à jour), par ici
Il me fait très envie, je pense qu’il est particulièrement touchant !
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Oui, vraiment. Et même si certains chapitres sont moins bons que d’autres – en tous cas je trouve -, l’ensemble est extraordinaire 🙂
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Très curieuse de découvrir une de tes auteures préférées, dont j’entends si grand bien.
L’angle d’approche est vraiment intéressant. Je vais attendre que ma pal perde quelques livres avant de mettre la main dessus. Et je vais assurément sauter le passage de l’avion en chute libre. Juste d’y penser, j’en ai les jambes molles!!!
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Oh oui, Maggie O’Farrell est à découvrir ! L’étrange disparition d’Esme Lennox, un roman celui-ci, fut aussi un coup de coeur 🙂 Et pour l’avion, j’ai failli lâcher mon livre pour m’agripper aux accoudoirs de mon fauteuil ! Brrr.
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je l’ai beaucoup aimé aussi, je suis une fan de Maggie O’Farrell depuis que j’ai lu « L’étrange disparition d’Esme Lennox » :un coup de cœur, une belle écriture! les chapitres autour de la maternité sont superbes 🙂 idem avec « Assez de bleu dans le ciel »…
J’en ai encore quelques uns à découvrir « comme pour Gaëlle Josse » 🙂
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Tout comme toi ♥
Par contre je n’ai encore jamais lu Gaëlle Josse ! Son dernier me fait de l’oeil. Et sinon, tu me conseilles lequel ?
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j’ai bien aimé « Le dernier gardien d’Ellis Island » et surtout « une longue impatience »
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Je note, merci 🙂
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Je n’ai encore jamais eu la chance de lire Maggie O’Farrell ! Lequel de ces livres me conseillerais tu pour démarrer ? La couverture me plais beaucoup. Merci Hélène pour cette belle chronique. Je l’avais repéré aussi sur Télérama. Bises bretonnes 🙂
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Sans hésiter, je te conseille L’étrange disparition d’Esme Lennox, un roman flamboyant, extraordinaire 🙂 Il est encore édité en poche chez 10-18. Bonne soirée, Frédéric, bises
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Merci pour ton conseil lecture Hélène, Bises bretonnes ensoleillées et excellent weekend à toi 🙂
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Heureusement que je l’ai acheter, alors ! 😉
J’aime beaucoup cette auteur même si son dernier roman a été un abandon.
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Heureusement, oui 😀
J’avais bien aimé son dernier roman, car j’aime vraiment sa plume, du coup tout passe je crois lol mais avec du recul il est plus inégal et bien moins percutant dans l’ensemble que la plupart de ses romans.
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Encore jamais lu cette auteure. J’ai lu une bonne chronique de ce roman sur un autre site. Ce ne semble pas simple à lire à cause de la non linéarité mais si c’est un coup de coeur, ça mérite attention.
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Oui, il mérite vraiment le détour. Concernant la non linéarité, j’ai effectivement pris quelques notes chronologiques au début, parce que j’étais perdue. Mais l’ensemble fonctionne très bien.
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je l’ai lu à sa sortie en anglais et il me parle beaucoup (disons que je partage certaines histoires avec elle et comme elle j’ai souvent frôlé la mort) – un livre vraiment magique !
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Une de mes auteures préférées, et ma meilleure lecture de 2019 pour celui-ci …
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je suis comme toi, Maggie O’Farrell est une de mes auteures préférées ♥
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