Cette année, je fête mes vingt ans de passion irlandaise. Pour célébrer ces « noces de porcelaine », je suis partie en exploration dans mes archives, où j’ai repêché quelques avis qui me semblent tenir un peu la route, si ce n’est par leur contenu, leur pertinence ou leur cocasserie, tout au moins me permettront-ils de témoigner ici de riches lectures irlandaises passées.
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Ce cinquième opus de mes Mémoires de Porcelaine est consacré à Molly Keane, dont j’ai lu presque tous les romans.
(1904 – 1996)
Molly Keane est née Mary Nesta Skrine en 1904 dans le comté de Kildare, dans une famille d’aristocrates fortunés. Elle a publié son premier roman sous le pseudonyme de M. J. Farrell en 1920, dans l’unique but avoué de récolter quelques subsides pour pourvoir à sa garde-robe. Ainsi paraissent, de 1928 à 1952, dix romans et quatre pièces de théâtre, salués élogieusement par la presse. Elle se retire finalement dans les années 50, après le décès prématuré de son mari.
Mais à l’âge de 76 ans, « trop vieille pour chasser à courre, trop pauvre pour payer un jardinier, mais possédant plus d’une bonne idée », Molly Keane fait son retour, avec le roman sélectionné pour le Booker Prize, Good Behaviour (Les Saint Charles). Booker Prize qu’elle rate de peu apparemment, détrônée en bout de course par Salman Rushdie et ses Enfants de Minuit. Par la suite, elle a publié deux autres romans, très bien accueillis, au point que ses anciens livres ont été réédités sous son patronyme.
Les premiers romans de Molly Keane sont plutôt des distractions légères, qui racontent les frissons de la chasse au renard et des premiers émois amoureux. Mais son talent mûrit avec les années et ses romans vont prendre une nuance de plus en plus sombre. Son esprit devient plus piquant et acéré, son ironie pénétrante et ses observations plus vives. Déclin d’une époque et d’une classe sociale, cercle clos où les gens sont condamnés à s’entre-déchirer, dans les derniers livres de Molly Keane, on trouve une satire contemporaine très riche.
A lire, sa nécrologie, très complète.
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Ses romans (traduits en français) par ordre de publication :
Sous le Pseudonyme de M. J. Farrell
• Un beau Mariage (Taking Chances, 1930)
• Chassés croisés (Devoted Ladies, 1934)
• Fragiles Serments (Full House, 1935)
• Et la Vague les emporta (The Rising Tide, 1937)
• Les Renards de Pierre (Two days in Aragon, 1941)
• L’amour sans Larmes (Loving without Tears, 1951)
• Chasse au trésor (Treasure Hunt, 1952)
Sous son vrai nom :
• Les Saint Charles (Good Behaviour, 1981)
• La Revenante (Time after Time, 1983)
• Amours sans retour (Loving and Giving, 1988)
J’ai déjà lu huit de ses dix romans (bientôt neuf, car je viens tout juste d’ajouter Chasse au Trésor à ma PAL). J’ai aimé la plupart et même adoré quelques-uns ! Mon préféré je crois : La Revenante. Celui a éviter : Chassés-Croisés.
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Ses romans dans mon ordre de lecture :
• Les Renards de Pierre (lu fin 1996)
Traduit par Michèle Hechter. Editions Le Promeneur, 1993.
Présentation de l’éditeur : « Dans le manoir irlandais d’Aragon, cerné d’azalées et de rhododendrons, s’agite une faune qui ne déconcertera pas les lecteurs familiers de Molly Keane : Grania et Sylvia Fox, deux sœurs dans la fleur de l’âge ; leur mère, et leur tante Pidgie, à la conduite parfois imprévisible ; Nan O’Neill, la nurse de la famille, et son fils Foley, expert en culture chevaline – et secret séducteur de Grania. Un aéropage fringant d’officiers britanniques fréquente assidûment ce cercle féminin, dans une succession tranquille de thés et de parties de tennis, à l’occasion desquels la placide Sylvia finit par succomber au charisme du capitaine Purvis. Pratique consommée d’un art de vivre séculaire, que rien ne semblerait devoir venir déranger, et qui est pourtant tout proche de sa fin : d’une conclusion dramatique où l’insouciance gracieuse d’une société pleine de charme et de légèreté le cède définitivement devant les exigences complexes et implacables de la réalité politique. »
Mon avis : Les Renards de pierre est le premier livre que j’ai lu de Molly Keane. Je l’avais déniché dans une bibliothèque municipale, à l’époque. Il met en scène comme dans chacun de ses autres romans, une famille d’aristocrates anglo-irlandais, un manoir, tout un tas de personnages croqués avec âpreté, cynisme, talent et humour. C’est toute une classe sociale et politique qu’elle met en scène, personnages complexes, études de moeurs et de caractère fines. L’IRA y est vue au primse de différents regards, qui m’ont rappelé le fantastique roman Coups du sort, de William Trevor.
Les Renards de pierre n’est pas le meilleur roman de Molly Keane – à mon goût en tous cas -, mais il m’a donné l’envie de découvrir cette auteure. Comme j’ai bien fait !*
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• Et la Vague les emporta (lu en décembre 1997)
Traduit par Frédérique Daber. Editions Jean-Cyrille Godefroy, 1985 ; réédition en poche : éditions la Table ronde, la petite Vermillon, 1999.
« Lady Charlotte règne en despote sur le domaine de Garonlea. Son mari, ses quatre filles et son fils Desmond lui obéissent au doigt et à l’œil. Quand ce dernier décide de prendre pour épouse la merveilleuse Cynthia, belle, drôle, et redoutablement intelligente, Lady Charlotte sent le vent tourner. À juste titre. Cynthia emménage en face du domaine familial et redouble d’efforts pour rendre sa demeure plus accueillante, à grand renfort de parties de chasse et de garden-parties.
Avec cette fresque de l’aristocratie anglo-irlandaise, Molly Keane enquête, sans jamais se départir de son regard acéré et malicieux, sur les origines des haines et des jalousies humaines. »
Comme je n’ai pas retrouvé mon avis sur ce livre (mais il me semble me souvenir que c’est un bon cru), je cite le Monde des Livres d’octobre 1999 : « Avec son âpreté coutumière, [Molly Keane] y décrit une famille irlandaise prise aux pièges d’une certaine bonne éducation, de la chasse quasiment érigée en religion, dans un manoir lourd d’une tristesse pesante. […] Avec les années, les mœurs évoluent, la méchanceté change de camp, les enfants se transforment « en êtres achevés et menaçants » et tout finit lors d’un bal masqué qui fait éclater « le vide absolu de l’existence ». »
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• La Revenante (lu en mai 1999)
Traduit par Simone Hilling. Editions J.-C. Godefroy, 1984 ; réédition : éditions 10-18, 1996
Mon avis : Un excellent roman. Quatre vieillards, trois sœurs (April, May et June) et leur frère (Jasper), habitent ensemble dans un manoir du sud de l’Irlande (Durraghglass), au bord de la ruine. Jasper est borgne, une des sœurs est sourde, l’autre est dyslexique et n’a jamais réussi à apprendre à lire, et la dernière est née avec seulement un doigt et demi à la main droite… Ils se haïssent tous les quatre cordialement et mènent une vie de routine. Mais voilà que débarque une cousine qu’ils croyaient morte, aveugle de surcroît, une « revenante » qui fait revivre les fantômes du passé… C’est fabuleux de cruauté, l’étude des personnages est fine et acérée. Je me suis vraiment amusée.
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• Les Saint Charles (lu en septembre 1999)
Traduit par Simone Hilling. Editions J.-C. Godefroy, 1983 ; rééditions : éditions 10-18, 1998, éditions la Table Ronde, la petite Vermillon, 2014.
« L’histoire des St. Charles est celle d’une famille anglo-irlandaise, noble mais ruinée, vivant dans un mélange d’élégance et de décrépitude, et qui refuse de prendre en compte les réalités contemporaines. La narratrice, Aroon, est la fille de la maison. Mal aimée par sa mère, éperdue d’admiration pour son père, elle passera toute sa vie à Temple Alice, et finira par devenir une vieille fille dure, oscillant entre la nostalgie et la violence intérieure. Derrière le monde de rêve et de bonnes manières que décrit Aroon, le lecteur devine la vérité des passions tragi-comiques qui détruisent les St. Charles.
Par-delà sa peinture acérée des mœurs d’une classe sociale et des vices d’un système néo-féodal, Molly Keane bâtit un roman familial parcouru de névroses et de tabous universels. »
Mon avis : Quel parcours amène une jeune fille somme toute plutôt sympathique à devenir une vieille femme méchante et aigrie ? Voilà certains des méandres que Molly Keane prospecte dans ce roman tout à fait intéressant.
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• Un beau Mariage (lu en juin 2000)
Traduit par Anouk Neuhoff. Editions de la Table ronde, 1996 ; réédition : éditions de la Table ronde (poche), 1997
« Le domaine de Sorristown, en Irlande, pourrait être un paradis sur terre : les hommes y sont beaux, les femmes charmantes et vertueuses. Le temps s’écoule en douceur entre les parties de chasse, les conversations piquantes et les cocktails autour de la cheminée. Depuis onze générations, les Sorrier habitent Sorristown. Autrefois, les mâles de la lignée étaient militaires ; aujourd’hui, ils sont oisifs et heureux. Roguey et Jer Sorrier ont une sœur : Maeve. Une fille douce, noble, épatante. Deux frères et une sœur qui sont un exemple d’entente familiale et s’aiment comme on ne peut que s’aimer quand on est irlandais, propriétaire terrien et amateur de thé.
Un événement se prépare : Maeve doit épouser le Major Rowland Arthur Fountain, l’homme le plus populaire du comté de Westcommon. Quelle fête ! »
Mon avis : Bon, je vais finir par faire du ‘copier-coller’ pour mes impressions sur les livres de Molly Keane : mon cinquième, encore une fois excellent. Mary est incroyablement attachante et l’histoire m’a beaucoup plu. C’est cynique, passionné, moderne.
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• Chassés-croisés (lu en déc. 2000)
Traduit en français par Françoise Werner. Editions Le Promeneur, 1992 ; réédition : éditions 10-18, 2000.
« Jessica et Jane sont les meilleures amies du monde. Ou peu s’en faut. Jessica – la brune – est plutôt brusque, volontiers agressive, jalouse de ses amitiés jusqu’à vouloir les étouffer. Jane – la blonde – est la perfection incarnée, que relève le charme discret d’une légère cicatrice. Elle est riche, naïve pour ne pas dire plus, et apprécie immodérément le brandy-soda. Leur ami Sylvester, dilettante résolu, considère en spectateur l’arrivée flamboyante des deux jeunes femmes, craignant malgré tout qu’un jour la première n’écharpe la seconde.
Survient le séduisant George Playfair, bien décidé à mettre la main sur Jane : ce qui va bouleverser tout ce petit monde, et susciter, sous les yeux horrifiés de la cousine Viola, alias Boudinette, un duel meurtrier. »
Mon avis : Mal écrit, pas intéressant. Le niveau remonte un peu vers la fin, mais hélas cela ne sauve pas le livre ! Il fallait bien que ça arrive un jour, sans doute… Il fallait bien que ça arrive un jour, sans doute… (Snif !)
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• L’Amour sans Larmes (lu en décembre 2001)
Traduit par Anouk Neuhoff. Editions Quai voltaire / La Table ronde, 2000 ; rééditions : éditions Gallimard, « Folio », 2001, éditions la Table ronde, la petite Vermillon, 2013.
Publié à l’origine sous le titre The enchanting Witch. Angel, femme séduisante, égocentrique et généreuse, règne sur la vie de ses enfants. Elle a un plan pour chacun d’eux : la superbe Slaney réussira le mariage parfait grâce à ses intrigues. Julian, le jeune héros qui revient de la guerre, dirigera le domaine familial. Tiddley, sa nièce orpheline, qui n’a pas la sophistication de ses cousins, sera sans doute ravie de devenir l’esclave consentante d’Angel. Mais les plans d’une mère ne se déroulent pas toujours comme prévu…
Mon avis : Un bon cru. C’est un peu lent et trop décrit, mais c’est très bien. Les personnages sont complexes et attachants. Tout est bien qui finit un peu trop bien, mais bon.
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• Fragiles Serments (lu en février 2014)
Traduit en français par Cécile Arnaud. Editions Quai Voltaire / La Table ronde, 2012 ; réédition : la table ronde, la petite Vermillon, 2013.
« Grand jour pour lady Bird : la splendide demeure qu’elle habite avec son époux Julian s’apprête à résonner à nouveau du tumulte d’une famille au grand complet. John, l’amour de sa vie, l’aîné de ses trois enfants, est de retour de ce qu’on s’empressera d’appeler son «voyage à l’étranger» : un séjour en maison de repos à la suite d’une dépression. Pour affronter cet événement, dans une existence largement dévouée à l’entretien du jardin et à la constitution d’une garde-robe à faire pâlir les plus coquettes de la capitale, lady Bird peut compter sur Eliza, une vieille amie de la famille.
Fragiles serments est un huis clos grinçant sous le vernis de la paisible haute société anglo-irlandaise. Molly Keane déshabille tout sur son passage – homme, femme, enfant – dans un cortège de personnages plus vrais les uns que les autres. »
J’ai égaré mon avis ici aussi, mais c’est un bon roman. Je cite donc Télérama (article de juin 2012, TT) : « Avec un humour pétillant de curiosité, une écriture sensuelle et grinçante, la romancière passe au scalpel une bourgeoisie qui tente de se préserver dans un monde en déliquescence, entre tournois de tennis, bals et fêtes de charité. »

Mes Molly Keane (c) Hélène Hiblot & Lettres d’Irlande et d’Ailleurs
Pour aller faire un tour sur mes autres Mémoires de Porcelaine, c’est par-là. A bientôt !
C’est une découverte pour moi, MERCI !!!!! Je pense que « La Revenante » va me plaire ……
bon dimanche
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Super ! Ravie que ce billet t’aie plu 🙂 Bon dimanche à toi aussi 🙂
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J’avoue que les histoires de Big House écrites par des Anglo-Irlandais ne sont pas mes lectures irlandaises de prédilection. Mais j’ai quand même « Et la vague les emporta » pour me faire une idée au-delà de mes a priori idiots – mais tjs pas lu. ☺
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20 ans ! Bravo !
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Merci 🙂 Ca méritait bien quelques billets !
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Oui 🙂
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I didn’t know about her. Thanks for the tip!
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20 ans et ce plaisir intact c’est cool ! je ne connaissais pas cette auteure. Merci pour la découverte. Grand et beau soleil ici en Bretagne, j’ai pu balader ma malzenn ! Bises pour toi 🙂 😉
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Merci! Je ne connaissais pas cette écrivaine! Il y a beaucoup de romans de cette écrivaine qui pourraient me plaire.
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