Paru le 27 août 2015 aux éditions Nathan.
Ma chronique :
« U4 » est une dystopie post-apocalyptique (qui se passe en France, ça change !), et l’aboutissement d’un projet ambitieux et original : composer en quatre romans un univers, une histoire, où chaque roman est centré et porté par la voix d’un des personnages – Stéphane, Yannis, Koridwen et Jules -, chacun écrit par un écrivain différent. Ces quatre livres se déroulent dans le même intervalle de temps et peuvent donc se lire dans n’importe quel ordre. Deux maisons d’édition, Nathan et Syros, sont devenues partenaires pour soutenir cette aventure.
Un peu au pif, j’ai commencé par Stéphane – qui comme son prénom ne l’indique pas forcément, est une fille.
Les premières lignes du livre nous mettent directement dans l’ambiance : U4, c’est le nom donné au filovirus méningé d’une violence foudroyante qui tue quasiment sans exception, en quarante heures, ceux qu’il infecte. U4 (pour « Utrecht », la ville des Pays-Bas où il est apparu, et « 4ème » génération. Plus de 90 % de la population mondiale ont été décimés. Les seuls survivants sont des adolescents de 15 à 18 ans.
Le deuxième grand axe de la série, commun aux quatre livres, c’est « le rendez-vous du 24 » : avant la catastrophe, ils jouaient tous les quatre à un MMORPG, un jeu massivement multi-joueurs, du nom de Warriors of Time (WOT pour les intimes). Ils y étaient même « Experts », parmi ceux qui ont reçu un message du maître du jeu, Khronos, juste avant que les serveurs internet ne tombent. Il leur donne rendez-vous le 24 décembre à minuit, sous la plus vieille horloge de Paris : « Ensemble, nous pourrons éviter la catastrophe en réécrivant le passé ».
Stéphane vit à Lyon lorsque la pandémie commence ses ravages, et elle s’y retrouve seule car son père, célèbre épidémiologiste, a été évacué par les autorités, pour trouver un vaccin.
Commence alors la survie. On suit Stéphane de jour en jour, voire d’heure en heure parfois, c’est tout à fait crédible et intéressant, suspens, action, ça se renouvelle bien. Beaucoup d’imagination, c’est parfois violent, glauque, la peur peut entraîner la folie…
La société moribonde se réorganise et se militarise sous couvert de survie. A raison, à tort ? La suspicion gagne les personnages, et nous aussi. Ca cache quoi tout ça ? J’ai été vraiment plongée dans ce livre, l’auteur nous mène au long des chapitres avec brio et intensité. Stéphane est rationnelle, cartésienne, tout au long hantée par la thématique du père. Parti sauver le monde, ou juste sa peau ? Ou celle de sa mère et de son petit frère, qui eux vivent (vivaient ?) en Bretagne ? Emouvant lorsqu’elle, athée, contemple dans l’église la statue crucifiée : « mon père, pourquoi m’as-tu abandonnée ? » L’intrigue se complexifie à mesure, avec l’arrivée de nouveaux personnages, on se lance dans un road-movie haletant à travers une France désertée ; c’est vraiment sympa. Je n’en dirai pas plus ici sur les événements car il faut garder les surprises intactes, sachez juste que ça vaut le détour et lorsque l’on rencontre Yannis, puis Jules et Koridwen, on en redemande ! On n’en apprend juste pas tout à fait assez sur eux, leur passé, leurs psychés respectives, ce qui donne une furieuse envie de lire les autres opus de la saga ! C’est très habile de la part des auteurs.
Cette lecture aurait presque été un coup de cœur, si Stéphane ne m’avait pas agacée dès la moitié du livre. C’est pourtant un personnage à gros potentiel, à plusieurs facettes, sans concessions. Son pseudo dans WOT est très révélateur : « Lady Rottweiler », qui montre bien son courage, sa fidélité, sa violence froide, parfois extrême ; son détachement clinique, aussi.
C’est sans doute le danger de ce type de narration à une seule voix : quand le personnage nous gave, on ne peut pas lui échapper… Stéphane devient de plus en plus égoïste, obnubilée, détestable. C’est pesant. Et du coup, la fin m’a totalement laissée sur ma faim, et je songe déjà au suivant que je vais lire ! Koridwen ou Jules sans doute, car Yannis était assez présent avec Stéphane.
Une saga vraiment à découvrir pour les amateurs du genre ; mais peut-être pas avec ce tome-ci… ? A suivre.
Extraits :
« Leurs yeux ont fondus, leurs visages ouvrent des trous béants, noirs, profonds, qui semblent nous suivre tandis que nous les dépassons. Brûlés vifs. Réduits à l’état minéral. Trois d’entre eux poussent un cri muet, bien après la mort. Leurs dents, seules taches blanches sur le noir charbon, font une marqueterie de porcelaine émaillée, ajoutant encore un détail à l’horreur. »
« Le jardin a l’impassibilité de l’hiver, il est impeccable, encore – la nature assoupie ne rejoindra qu’au printemps la sauvagerie et le chaos des villes, elle ne connait pas encore la catastrophe. »
« Et combien d ‘entre nous se cachent encore, terrés dans ces immeubles, ces tours, toutes les petites communautés comme celle dont j’ai entraperçu l’existence, les solitaires, les hors-la-loi, les résistants silencieux, les ombres ? Combien refusent de se soumettre à l’ordre que veulent imposer les Autorités provisoires de la République française, à coups de grenades au phosphore, de rafale brève et de loi antiterroriste ? »
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