Nora Webster, 2014. Traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson. Editions Robert Laffont, août 2016.
Ma chronique :
Nora Webster est ma deuxième lecture de la rentrée littéraire d’automne ; mon premier irlandais. C’est le huitième roman de Colm Toibin, un de mes auteurs favoris. Tous ses romans sont traduits en français, ainsi que ses deux recueils de nouvelles (il va falloir que je fasse une fiche auteur sur lui bientôt !)
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman, et encore une fois adoré le talent singulier qu’a Colm Toibin de mobiliser une force narrative extraordinaire derrière un récit faussement simple.
Nora Webster raconte un destin de femme à Enniscorthy, une petite ville au sud-est de l’Irlande, à la fin des années soixante. Nora vient juste d’enterrer son mari Maurice, l’amour de sa vie. Elle a quarante-six ans et quatre enfants. Elle ne travaille pas. Nora est une femme courageuse mais au caractère difficile ; elle convient elle-même que ce que tout le monde aimait chez elle, c’était son mari. On la découvre aux prises entre le microcosme un peu étriqué mais bienveillant de sa ville et les vicissitudes de sa survie financière, qui l’amènent à faire des choix draconiens. Réussir à faire le deuil de son époux, trouver un travail, élever ses deux plus jeunes garçons qui vivent avec elle, accompagner ses filles étudiantes, on suit pas à pas Nora vers une émancipation d’autant plus touchante que jamais Colm Toibin ne tombe dans certains ressorts artificiellement dramatiques. Ce roman a les mêmes rythmes erratiques que la vie réelle. Et même si le poids de la perte, de la solitude et des incertitudes apportent leur lot de drame et de tristesse à l’histoire, le cocasse n’est jamais très loin ; en cela c’est un roman très irlandais (vous qui allez le lire, je vous laisse savourer le passage scolaire où il est question de la malédiction d’une veuve. J’en ai hurlé de rire toute seule dans mon fauteuil).
Avant d’entrer dans ce roman, il est aussi bon de savoir que Nora Webster est en fait bien plus qu’un roman. Colm Toibin s’est inspiré en très grande partie de sa propre vie. Son père est mort la même année que le mari de Nora, il vivait à Enniscorthy avec sa mère, jeune veuve, et son petit frère. Les rues, les pièces des maisons dans ce roman, il y a vécu. Dans Nora Webster, Colm Toibin raconte sa mère. On réalise le poids de ce roman dans son œuvre entière dès les vingt premières pages – j’ai été très émue -, à l’évocation des Lacey de Brooklyn, et de Carmel Redmond, de la Bruyère incendiée. Nora Webster est une sorte de pierre angulaire. Maintenant qu’elle est posée, qu’il a réussi à l’écrire, il dit lui-même qu’il va pouvoir passer à autre chose.
Une très belle lecture, donc, que ce roman, sélectionné pour le Prix Femina 2016 (la nouvelle vient de tomber !)
Pour découvrir mes autres billets sur Colm Toibin, c’est par là : Le Maître – La Bruyère incendiée – Le Testament de Marie.
L’auteur : Né en 1955 à Enniscorthy dans le Comté de Wexford, Colm Toibin est tout à la fois écrivain voyageur, journaliste et romancier, pluralité que reflète son œuvre. Diplômé de l’University College de Dublin en histoire et anglais, un long séjour en Espagne après la mort de Franco lui a inspiré Hommage à Barcelone et son premier roman The South (Désormais notre Exil, 1990). Revenu en Irlande, il travaille comme journaliste et voyage en Amérique du sud, particulièrement en Argentine. C’est l’auteur de nombreux ouvrages de fiction, d’essais et d’anthologies,, tout comme il contribue à des journaux et des revues. Il a obtenu le prix E. M. Forster en 1995, de l’American Academy of Arts and Letters. Récemment, son roman Brooklyn a été adapté au cinéma, avec succès.
Très bien
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Merci !
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Un peu réticente quant au terme de « rentrée littéraire » qui est quand même une super opération marketing/com, je boude un peu tout ça etje fais ma mauvaise tête. Mais comme tu l’as très justement écrit ce bouquin de C. Tolbin est une fois de plus un vrai bonheur. Comme à chaque fois, mais là c’est tout à fait perso, j’étais un peu sceptique quant au thème en me disant « oh la la » attention, on va sombrer dans le mélo ou le nunuche. C’est oublier à qui on a à faire. Simple…mais émouvant,:et …excellent. Qui dit mieux?
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Je vis aussi la rentrée littéraire un peu en apnée et bien gavée. J’essaye donc de garder mes filtres bien vissés, car à côté de ça je suis tellement heureuse de découvrir de nouveaux irlandais, ainsi que quelques belles pépites de ci de là ! Pour ce roman-ci, je craignais un peu, comme toi… (ce qui ne m’a pas empêchée de le lire en premier :p ) et non. Colm Toibin est encore une fois au faîte de son art, avec cette simplicité lumineuse pleine de sens et d’humanité. Ça fait du bien 🙂
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un critique du Times avait écrit au sujet de » Brooklyn » :
« on a l’impression de regarder un artiste peindre une toile touche après touche, jusqu’à ce que soudain le tableau achevé surgisse, bouleversant, sous nos yeux « .
J’avais beaucoup aimé cette critique et je pense que c’est encore le cas avec « Nora Webster ».
merci
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Très joli effectivement ! Et oui cela peut tout à fait s’appliquer à Nora Webster 🙂 Merci à toi.
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sélectionné pour le prix Femina. Chouette. L’aspect « biographique » me plais, j’aime quand les auteurs prennent le temps d’installer une atmosphère et un rythme proche de celui de la vie réelle. La littérature irlandaise nous gâte de ce point de vue. Je note ce livre. Merci pour le partage de cette jolie note, Bises de Bretagne pour toi 🙂
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L’aspect biographique est d’autant plus intéressant ici qu’il est livré sans pathos mais sans complaisance non plus. C’est vrai que la littérature irlandaise nous gâte ! Merci Frédéric pour ce commentaire, bonne fin de weekend, bises 🙂
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J’ai beaucoup aimé Brooklyn et à la lecture de ta chronique, je pense que j’aimerai aussi Nora Webster donc noté dans ma LAL. Merci 🙂
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Heureuse que mon billet ait allongé ta LAL, Héhé :p Nora Webster te plaira certainement 🙂 Bonne fin de weekend et merci pour ton commentaire !
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