Éditions Flammarion, août 2019 ; 224 p.
Ma chronique (Rentrée automne 2019, 6) :
Carmen, la narratrice – née en 1979 en Roumanie, comme l’auteure – est avocate à Paris. Le jour où elle apprend la mort d’un grand poète roumain, héros de la révolution, ami très cher et mentor, les gilets jaunes battent le pavé des ronds-points français, un renard meurt d’éblouissement dans la lumière de ses phares, tout la ramène dans ses souvenirs, et plus particulièrement à l’année 1989.
« Quand j’étais enfant, il y a eu, dans mon autre pays, une révolution. Un moment de grâce, j’ai cru que le temps des dictateurs était terminé et que commençait le règne des poètes. »
1989. L’année de ses dix ans, de la chute du Mur de Berlin, de la révolution en Roumanie, de la fin du dictateur Nicolae Ceausescu. L’année où son Grand Poète fit son apparition sur la scène littéraire dissidente. Se souvenir pour essayer d’y voir clair, faire le point, entamer un travail de deuil, se rappeler d’où on vient, le chemin que l’on a parcouru, réfléchir à la suite, peut-être, que l’on veut donner à sa vie.
« A l’époque, l’argent était un gros mot pour la petite pionnière de la patrie communiste que j’étais. »
Au début je me suis demandé si c’était des souvenirs d’enfance ou un roman. Un peu des deux certainement, un entre-deux, les deux réunis ? A l’image du titre du livre, Ni poète ni animal.
Carmen raconte son année 1989, à la hauteur de ses yeux d’enfant, petit clown dégourdi et « grande poétesse de l’école 307 de Bucarest ». Les cigognes gelées sur pied au bord d’un lac en mars, son dixième anniversaire le 1er avril, les vacances à la campagne avec ses grands-parents paternels et son amitié pour le petit cochon de lait qu’ils ont adopté, sa mère qui s’enferme dans la salle de bains pour enregistrer des K7 pour sa meilleure amie enfuie aux Etats-Unis car le téléphone coûte trop cher et les communications sont surveillées – K7 que la plupart du temps elle n’envoie pas car des propos subversifs lui ont encore échappé.
« Si on vivait dans une romance américaine, là oui, de temps en temps nous pourrions nous amuser à raconter une petite histoire sordide à nos enfants. Mais ici, avec la vie qui est la nôtre ? Il n’y a qu’à regarder par la fenêtre et tu l’as, ton histoire sordide. »
Son père, directeur financier dans une usine de savons, qui en échange au marché noir contre des denrées plus comestibles. Elle qui fait la queue des heures pour réussir à acheter les premières tomates de la saison. Sa grand-mère maternelle Dani – qui a un sacré grain, soit dit en passant -, suivie en hôpital psychiatrique et par les services secrets car elle est fille d’aristocrate… sans compter ses quatre ou cinq frères et sœurs, elle ne sait jamais combien (il semble que ce soit une sœur qui oscille dans sa mémoire, j’ai pensé à un règlement de comptes, haha).
Irina Teodorescu est roumaine de naissance, vit en France depuis de nombreuses années et écrit en français. Je l’ai pour ma part découverte avec ce titre et son écriture bouillonnante et espiègle, surprenante et poétique, à la mélodie et au tempo particuliers, m’a séduite.
« […] Je me suis mise à apprendre le russe, j’aime cette langue et la langue est un miroir. Je me regarde dans mon russe de débutante, je me vois à peine crayonnée, et cette image me satisfait. »
A travers la vie de ces trois générations de femmes – les souvenirs de Carmen alternant avec des retranscriptions de certaines K7 de sa mère et des compte-rendus d’entretiens psychiatriques de sa grand-mère -, c’est toute la Roumanie du 20ème siècle que raconte ce livre. Un récit très bien construit, une lecture intéressante et riche. J’ai beaucoup aimé !
« Pourtant il parlait lentement, comme s’il attrapait ses mots avec des pincettes et qu’il les posait un par un sur une table métallique pour les étudier. »
★★★★★★★★☆☆
Repéré chez Frédéric
Merci ! C’est chouette que tu ais aimé ce joli livre d’Irina Teodorescu. Sa plume est poétique, pleine de charme, de vie ! Passe un excellent weekend Hélène 🙂
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Oui, j’ai vraiment apprécié cette découverte !
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il me tente, il faut que je le note… je vais attendre que les cérémonies de commémoration soient loin, car je sature…
J’etais devant ma TV en 89 pleine d’espoir(s) et voilà. où on en est trente après..
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style et univers très personnels pour cette auteure que j’aime bien lire
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Quel autre titre d’elle me conseilles-tu ?
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Je n’ai lu d’autre que La malédiction du bandit moustachu.
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Je le note, merci !
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