Toute une vie et un soir – Anne Griffin

When all is said, 2019. Traduit par Claire Desserrey. Delcourt Littérature, avril 2019

Ma chronique :

Coup de cœur pour ce premier roman de l’irlandaise Anne Griffin.

« Un des avantages d’avoir 84 ans, c’est qu’avec toutes ces expéditions aux toilettes, on fait de l’exercice. »

A peine ouvert Toute une vie et un soir, on se retrouve en juin 2014, accoudé au bar avec Maurice, à l’écouter nous raconter sa vie. Il a quatre-vingt-quatre ans. Sa femme Sadie est morte il y a deux ans, dans son sommeil. « Ce soir, c’est pas un soir comme les autres ». Maurice vient de vendre sa ferme, et ce soir il est venu ici pour se souvenir. Au bar de cet hôtel qui fut, il y a longtemps, la maison des Dollard. Sa mère travaillait pour eux, et lui aussi, dès ses dix ans. L’école, ce n’était pas son truc, à Maurice ; aujourd’hui on parlerait de dyslexie. Des Dollard, il se souvient surtout des coups.

Tout au long de ce roman au ton très juste, Anne Griffin nous livre mine de rien quatre-vingt ans de l’histoire de l’Irlande. Le récit est rythmé par cinq toasts, pour les cinq personnes qui ont le plus compté pour Maurice. C’est un homme qui a toujours eu du mal à montrer son affection. Ces toasts sont sa manière de leur rendre hommage.

Le premier toast, avec une bouteille de stout, est pour son grand frère, Tony. Son protecteur, son roc, son meilleur ami. Il se souvient de son premier jour d’école, à quatre ans. On l’appelait « Le grand ». Quand il a sept ans, Tony en a douze et il ne lui reste plus que deux mois d’école avant de commencer « à travailler la terre à plein temps avec son père ». Une époque rude, où le monde commençait pourtant à changer, avec la Land Commission, une loi qui a permis au petit fermier de « posséder sa terre, du moins quelques lopins ».

C’est un peu compliqué pour moi de vous parler de ce livre, finalement, car je ne veux rien dévoiler qui pourrait vous gâcher le plaisir que j’ai eu, moi, à découvrir cette histoire…

Deux des toasts à venir seront pour son fils Kevin et sa femme Sadie. Je ne vous dis rien des deux autres. On plonge avec rythme et habileté dans la vie de Maurice, un homme buté, rancunier, travailleur, raide dingue amoureux de sa femme. Avec en fil rouge un événement qui s’est passé chez les Dollard quand il était jeune, puis ses répercussions.

Je vous conseille ardemment de découvrir ce roman irlandais sur les regrets et la solitude, bourré d’optimisme, d’émotion, d’humour, et de fureur aussi parfois. Toute une vie et un soir campe des personnages féminins forts, la plume est belle, et la traduction extra.

Merci aux éditions Delcourt et à Babelio !

« Le grand amour, celui qui s’accroche à tes os, s’enfonce sous tes ongles, aussi difficile à faire partir que la terre incrustée depuis des années. Quand il est plus là… c’est comme si on t’avait arraché un bout de toi. Tu te retrouves la peau à vif, sans défenses, avec ton sang qui dégouline sur la moquette neuve. »

J’ai eu la chance de participer à une vraie belle rencontre chaleureuse et passionnante, le 15 mai dernier à la librairie Le Divan à Paris. Animée par une librairie, autour d’Anne Griffin, sa traductrice Claire Desserrey et Emmanuelle Heurtebize, directrice éditoriale de Delcourt Littérature : on s’est régalés !

L’auteure nous a raconté comment « est né » Maurice. Elle l’a rencontré, en vrai. En tous cas un homme qui lui ressemblait, au bar d’un hôtel dans l’ouest de l’Irlande. Il était seul, très distingué. Dans les soixante-dix ans. Il lui a raconté avoir travaillé là quand il était petit. Juste avant de partir, il lui a dit une phrase qui l’a tellement marquée que ce livre en est né (quand vous aurez lu le livre, je pourrai vous la livrer, si vous voulez). Le propre père d’Anne Griffin avait quatre-vingt-quatre ans quand elle a commencé à écrire ce livre, elle a donc pu trouver une voix juste pour Maurice.

Elle a ensuite beaucoup échangé avec nous sur les différents personnages de l’histoire. Pour elle, Maurice « is a typical quiet irish man ». Il a eu des secrets pour Sadie, mais c’est seulement avec elle qu’il voulait communiquer. Anne Griffin aime quand ses lecteurs lui parlent de ce qu’ils ont ressenti en lisant le livre. L’important pour un auteur, pour elle, c’est surtout réussir à toucher le lecteur – et pas seulement le nombre de ventes – a-t-elle ajouté en riant. Emmanuelle Heurtebize – dont le mari est irlandais et qui voue une passion à la littérature irlandaise, a ri de bon cœur avec elle. Ce qui a surpris Anne Griffin et la rend fière, c’est que ce roman soit lu et adoré par des gens très différents et de tous âges.

Lorsqu’une lectrice de l’auditoire interpelle Anne Griffin sur le fait que finalement c’est la vente des terres de Maurice qui libère sa parole car il ne possède plus rien, presque elle tombe des nues, en approuvant : « I learn so much about my own book ! » (elle a ri, et tout le monde avec elle). Et pour finir, elle nous a livré qu’elle travaille en ce moment sur un nouveau roman. Une voix de femme cette fois, de vingt–sept ans, qui parle sur la famille et l’Irlande. La belle nouvelle !

 

  24 comments for “Toute une vie et un soir – Anne Griffin

  1. 20 juin 2019 à 20 h 18 min

    Merci Hélène.. J’ai vraiment envie de découvrir ce livre!! bise

    Aimé par 2 personnes

  2. 20 juin 2019 à 20 h 42 min

    Les vieilles dames des romans sont souvent très attachantes. Je note

    Aimé par 1 personne

  3. 20 juin 2019 à 20 h 44 min

    C’est génial de pouvoir rencontrer cette écrivaine dont le livre t’as beaucoup plu. Toujours aussi agréable de lire tes chroniques irlandaises Hélène ! Bises bretonnes ensoleillées 😊☀️

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    • 21 juin 2019 à 8 h 37 min

      Merci Frédéric, oui c’est toujours intéressant de rencontrer les auteurs et là c’était encore un cran au-dessus, effectivement 😊
      Bonne fin de semaine ! Bises

      Aimé par 1 personne

  4. 21 juin 2019 à 1 h 45 min

    Tu as su piquer ma curiosité… Merci pour la découverte, et merci aussi pour le bilan de ta rencontre.

    Aimé par 1 personne

    • 21 juin 2019 à 8 h 39 min

      Merci d’être passée ! 🙂 C’est un roman très humain. Je me souviendrai longtemps de Maurice.

      J’aime

  5. 21 juin 2019 à 10 h 04 min

    Tu as bien raison, mieux vaut toujours ne pas trop dévoiler… Je suis bien tentée, en tout cas !

    Aimé par 1 personne

    • 25 juin 2019 à 10 h 23 min

      Il devrait te plaire ! Et oui, j’aime toujours tes chroniques pour ce souci que tu as de ne pas trop en dire 😊

      Aimé par 1 personne

  6. 21 juin 2019 à 10 h 54 min

    J’ai adoré ce roman. Ça a été une magnifique lecture !
    Quelle phrase lui a dit cet homme alors ? Je suis curieuse !

    Aimé par 1 personne

  7. 21 juin 2019 à 11 h 32 min

    Une Irlandaise de Dublin, hmmm ?? Il est dans ma PAL..

    Aimé par 1 personne

  8. Esmeralda
    21 juin 2019 à 15 h 04 min

    Un excellent premier roman tout en émotion. Un incontournable de cette année.

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  9. 12 août 2019 à 17 h 05 min

    Ce devait être un chouette moment pour toi cette rencontre ! 😉

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  10. 14 octobre 2019 à 20 h 01 min

    Joli billet ! je viens de finir ce beau roman, et tu en parles très bien !

    Aimé par 1 personne

    • 14 octobre 2019 à 21 h 27 min

      Merci à toi ! J’aime beaucoup ton billet aussi 🙂 Un livre que j’ai terminé il y a quelques mois mais qui reste très présent dans ma mémoire et dans mon coeur

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