Orchid & the Wasp, 2018. Traduit de l’anglais (Irlande) par Anne Hasier. Christian Bourgois éditeur, février 2021 ; 400 p.
★★★★★★★★☆☆
Mon avis (Rentrée hiver 2021, 6) :
« Troisième loi de Newton. Sa liberté à lui est sa restriction à elle. « La liberté pour le brochet, c’est la mort pour le vairon », a dit Berlin (Pour Gael, la question était claire : comment devient-on une orque ?) »
Voici un roman difficile à raconter. Une lecture enthousiasmante autant que laborieuse. Sélection naturelle est le premier roman de la poétesse irlandaise Caoilinn Hughes, et cela se ressent. On devine une écriture stupéfiante et que le roman en version originale doit contenir et transmettre plus que ses seuls mots. Traduit, hélas, cela est moins convaincant.
« Les affaires, c’est l’art d’extraire de l’argent de la poche d’autrui sans recourir à la violence ». C’est à ce genre de phrases assénées par son père qu’a été élevée la jeune Gael. Son père Jarleth, un financier sans scrupules, mis à mal par la chute du Tigre Celtique. Mais commençons par le début. Le roman s’ouvre en avril 2002. Gael a onze ans et Guthrie, son frère, un an de moins. Leur mère, Sive, est cheffe d’orchestre. Une famille très aisée, des parents carriéristes et débordés, et deux enfants pas mal laissés à eux-mêmes. Gael imagine des business douteux et Guthrie se croit épileptique.
Sélection naturelle contient des scènes jubilatoires, uniques, voire à retenir son souffle, et la narration est d’une grande inventivité, mais j’ai trouvé sa construction linéaire maladroite et l’ensemble trop long. On passe d’avril 2002 à février 2003, puis avril 2008, août 2009, avril 2011, septembre 2011, etc. Et même si chaque épisode est important pour la compréhension des personnages et saisir les enjeux du livre, cela manque souvent de liant. On reconnaît parfois mal les personnages d’une époque à l’autre, il y a une perte de rythme voire d’intérêt. Trop de remplissage à chaque arrêt sur image. Mais n’oublions pas que Sélection naturelle est un premier roman. Tentation de vouloir faire tenir toutes ses idées dans un même volume.
Et des idées, on sent que Caoilinn en a à revendre. Une ébullition vivifiante tourbillonne au coeur des pages de Sélection naturelle, et c’est vraiment plaisant. Il y a tellement d’humour par moment dans ce roman, j’en ris encore quand je pense à certains passages, pince sans rire et d’une ironie savoureuse.
De l’Irlande du krach économique à Occupy Wall Street, on va coller aux basques de Gael, une héroïne plutôt anti-héroïne, en tous cas peu commune. Opportuniste, brillante, amorale, complexe, pas vraiment sympathique et franchement drôle, elle va à un moment de son existence mettre au point un ambitieux projet d’arnaque, pour renflouer les caisses de sa famille. Le titre original Orchid and the wasp (l’orchidée et la guêpe), résume bien l’idée : s’adapter et coévoluer pour survivre. Peut-être le titre contient-il aussi un jeu de mots avec l’acronyme W. a. s. p., White anglo-saxon protestant et ce qu’il peut sous-tendre de rêve américain et libéral, avec une orchidée Gaelique ?
Sélection naturelle a été une lecture souvent épatante, où je me suis hélas aussi souvent égarée. Des personnages étonnants et atypiques, une histoire un peu barrée et foisonnante, beaucoup d’humour et d’énergie, mais un livre trop long et une construction maladroite – à mon sens. La plume de Caoilinn Hughes est très originale, son verbe vivant, riche et audacieux – la traduction posant sans doute un peu problème. C’est en tous cas un premier roman que je vous conseille de découvrir, si vous avez du temps à lui consacrer.
Ah, et aussi : je tiens à préciser qu’au début du roman, la précocité de Gael m’a mise mal à l’aise et quelques scènes à connotations sexuelles borderline m’ont fait grimacer, et puis en fait non, Caoilinn Hughes est sans malaise, une équilibriste très talentueuse.
« Se retenant tout juste d’enjamber le seuil, elle ferme la porte et bondit sur le lit pour tortiller sept cieux de sorte à les faire rentrer dans un oreiller. »
Les premiers romans sont souvent foisonnants l’auteur(e) voulant y mettre toutes ses influences, ses idées, ne surtout rien oublier.. ça les rend singulier. Tu as le don de susciter l’envie de se plonger dans une histoire. Je note tes réserves malgré tout. Belle après midi Hélène, bises bretonnes 🙂
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Merci Frédéric ! Tu as tout à fait raison, les premiers romans ont un parfum unique, on y voit souvent germer un talent, et c’est une chance quand nous les découvrons traduits en France en premier aussi ! Je pense à Audur Ava Olafsdottir que nous avons connu avec son quatrième roman si je ne m’abuse, et son premier bien des années plus tard.
A bientôt Frédéric, bises aussi
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Pourquoi pas, comme Fred j’aime bien les premiers romans 🙂 et puis ce que tu en dis fait envie !
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Oh, chouette, je serais très curieuse de connaître ton avis sur ce roman, j’espère que tu le liras, du coup 😊
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Je l’ai noté ! (Et je n’ai pas oublié Judith Perrignon qui est en bonne place dans ma PAL ;))
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Il me tentait… Tes arguments sont très convaincants. C’est pourquoi je vais à tout le moins attendre sa parution en poche. Le coût du grand format est ici exorbitant. Je préfère être sûre de mon coup!
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Heureuse de savoir qu’il te tente, car il mérite clairement le détour, même avec mes bémols 🙂
Et tu sais, c’est avec grand plaisir que je te l’enverrai, quand tu voudras le lire !
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