Hier soir, j’ai pu participer à une rencontre à la librairie Millepages à Vincennes avec l’auteur Colum McCann, autour de son dernier recueil de nouvelles tout juste paru chez Belfond, Treize façons de voir. J’avais annoncé cet événement dans un précédent billet, ainsi que la présence de l’écrivain le weekend prochain au festival Etonnants voyageurs à St-Malo et en septembre au festival America de Vincennes.
J’ai découvert cet écrivain en 1998 avec « Le Chant du Coyote » et un an plus tard, « Les Saisons de la Nuit ». Depuis, j’ai lu tous ses livres (je crois bien que ça en fait neuf), et j’adore complètement son oeuvre (voir ma notice). Alors du coup, j’étais vraiment super émue de pouvoir assister à cette rencontre. Et ravie, car les échanges ont été passionnants avec Colum McCann, charmant et charismatique, ainsi que sa brillante interprète Dominique Chevalier. Ajoutez à cela l’humour de l’auteur et l’accueil chaleureux de la librairie Millepages… la soirée fut épatante.
Quelques notes prises au fil des mots :
Colum McCann aime beaucoup écrire des nouvelles. Elles sont comme un monde qui implose, tout en épaisseur de matière, alors que le roman est un monde qui explose en envoyant des éclats un peu partout.
Cela fait un peu plus de vingt ans qu’il a la chance de venir en France (aussi avec son ami Jim Harrison). Il y a quelque chose de vivifiant avec le public français ; et ce n’est pas que le vin ! Les éditions Belfond le suivent depuis le début.
Comment entre-t-il dans la peau de ses personnages ? Il a beaucoup écouté, dans sa vie. Plus jeune, en traversant les Etats-Unis à vélo, il écoutait les gens qu’il rencontrait. Cela lui plait de ne pas être lui-même. Il essaye d’habiter les autres voix, c’est pendant ce processus qu’il trouve la sienne propre.
La première nouvelle, « Treize façons de voir » est presque un court roman. Comment est-il parvenu à saisir l’existence d’un vieil homme ? (A cela il répond en riant « parce que moi aussi je suis un vieil homme ! ») Le mot-clef est « empathie ». A l’intérieur de nous existe cette capacité à comprendre l’autre. Il faut juste être un peu acrobate et tendre les bras le plus haut possible.
Notre plus grand échec politique est celui de l’empathie.
Il ne dit pas que c’est ce que doivent faire tous les écrivains, non. Mais lui a besoin de cela, d’aller vers l’autre.
Colum McCann a lui-même été victime d’une violente agression. Cette nouvelle existait avant, mais l’agression a donné naissance au livre. La nouvelle « Traité », par contre, a été écrite après et est sans doute la plus violente, mais c’est celle qui va vers la recherche du pardon.
Il était à New-Haven lorsqu’il a vu une femme se faire agresser par un homme dans la rue. Tout le monde autour fuyait la scène, lui est intervenu. Il s’est approché et a dit à l’homme (sans trop de politesse) d’arrêter. L’homme était plus grand que lui mais il est parti, la dame s’est relevée, s’en est allée également. L’incident était clos. Colum McCann est retourné à son hôtel. Un instant il discutait avec son fils d’une future course de vélo et celui d’après, il ouvrait les yeux sur une lueur vive : il était à l’hôpital, sur le point d’entrer au scanner. Deux heures plus tard. Il s’était fait attaquer par derrière par l’agresseur de la femme, qui lui a asséné entre autres plusieurs coups de pieds à la tête. Les séquelles furent sérieuses et pendant quatre mois il a fait des allers retours à l’hôpital. Il a finalement décidé d’en parler, car ce qui tue c’est de ne rien dire.
Le New-York de Colum McCann est celui de toutes les communautés qui se côtoient. C’est un mélange de tout. Vivre à New-York, c’est devenir un patriote d’ailleurs (sa version du citoyen du monde).
Mais dans ce livre, il y a aussi l’Irlande : dans la nouvelle « Sh’khol ». Que signifie ce mot hébreu ? Colum McCann parle souvent dans ses écrits de mères qui perdent leur enfant. Mais comment appeler cela ? Pour un époux qui perd son conjoint on a le mot veuf, veuve ; lorsque c’est un enfant qui perd ses parents, on dit orphelin. Mais il n’y a pas de mot pour signifier un parent, une mère qui a perdu son enfant, ni en anglais, ni en français, ni en allemand… Seules trois langues possèdent un tel mot : l’arabe, le sanskrit, et l’hébreu. Il trouve le mot hébreu, Sh’khol, très beau, et il a donc inventé une histoire autour de ce mot.
Il voulait une femme isolée dans l’ouest de l’Irlande, qui sache parler gaélique et hébreu. Elle est traductrice d’anglais et a adopté un enfant russe. La nouvelle est écrite en anglais. L’enfant est sourd et muet. Gros jeu autour du langage.
Les lecteurs sont souvent plus intelligents que lui et vont plus loin dans l’interprétation de ses écrits. Lui il écrit, à nous de voir ! Mais peut-on parler d’amour inconditionnel ? Oui. Un amour absolu que rien ne peut perturber. On ne reste pas un enfant toute sa vie, mais une mère, si (en reste une toute sa vie).
Dans « Traité », la nouvelle sur le pardon, une nonne reconnait son agresseur des années après.
Ces dix dernières années, l’église catholique en a pris plein la figure et c’est largement mérité. Mais néanmoins il y a de nombreux religieux qui ont mis leur vie en danger pour la justice sociale et qui continuent d’œuvrer en ce sens. Il voulait parler d’eux. Il faut certes décrire le côté sombre du monde. Mais il est intéressant d’aller chercher la lumière au cœur de l’obscurité. C’est le travail de l’écrivain.
Incroyable ! Il y a une nouvelle supplémentaire dans la version française de ce recueil ! (« Comme s’il y avait des arbres »). Comment cela se fait-il ?
Au départ il a écrit treize nouvelles. Il a coupé, coupé, il en est resté sept, puis cinq, et finalement quatre pour la version anglaise et américaine. Mais l’édition française a souhaité en ajouter une cinquième. Il leur a fait confiance ; et voilà.
Un film inspiré de son livre « Danceur » (une biographie romancée de Nouréïev) devrait voir le jour d’ici deux ans.
Quand écrit-il ? A priori il n’a aucune routine particulière. Il écrit directement sur l’ordinateur. L’idéal, c’est 5 heures du matin, il s’installe dans un petit coin et écrit avant d’allumer internet et de lire les journaux : avant que son cerveau ne soit infecté par les nouvelles de la journée.
Quelle était sa relation avec Jim Harrison, a-t-il influencé sa manière d’écrire, lui a-t-il prodigué des conseils ? Il a rencontré Jim Harrison à New-York il y a vingt ans. Il lui a demandé de signer des livres, ils ont fini au bar à se raconter des histoires, il l’a traité de franc salaud (Jim a traité Colum), ils sont devenus grands copains.
Il lui a donné des conseils dans chacun de ses poèmes et dans chaque ligne de ses écrits.
Ce qu’il aimait chez lui, c’est qu’il vivait sa vie haut et fort : « Jim was completely alive »
Je laisse le mot de (presque) fin à l’hôte de la soirée : « Colum McCann est un coureur de fond capable de longues échappées »
… Vivement le festival America ! (et ces mots-ci sont de moi)
Excellent billet ! Merci 🙂
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Merci à toi 🙂
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Une belle rencontre. Je retiens de belles choses dans ce discours: l’importance d’ècouter l’autre, l’empathie et le refus de l’amalgame (chercher la lumière au coeur de l’obscurité). Ma nouvelle prèfèrée est Traité.
J’aimerai beaucoup participer cette année au Festival America. Merci pour ce retour.
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Merci à toi pour ces commentaires ! J’envisageais moi aussi de participer à ce festival cette année et j’avoue que cette rencontre m’a convaincue. Il semble y régner un excellent état d’esprit.
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tu as passé un beau moment et puis ce n’est pas n’importe quel auteur quand même. Le plaisir d’une discussion, la dédicace j’imagine, c’est bien passionnant de découvrir ainsi qui se cache derrière ces histoires. Le récit de son agression par un homme des plus « courageux » c’est peu de le dire.. attaquer dans le dos.. bref il a l’honneur pour lui, celui d’avoir secouru cette femme. Ton blog est un régal pour tous ceux qui aiment la littérature. C’est sincère. Bon après-midi à toi 🙂 bises !
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Encore une fois merci Frédéric pour tes commentaires 🙂 J’ai beaucoup de chance d’être lue par des lecteurs aussi curieux, passionnés – et généreux ! 😀
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« Mettez-vous dans ma peau, je me mettrai dans la vôtre. »
un écrivain qui dit cela ne peut que me plaire …… merci
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Je pense aussi qu’il devrait te plaire 🙂 « Les saisons de la nuit » est une bonne entrée dans son oeuvre.
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J’aurais adoré comme son livre 😉
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Je me réjouis de découvrir ce recueil de retour aux nouvelles de McCann. J’ai lu tous ses précédents mais, par contre, je n’arrive pas à accrocher à ses romans.
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Tu as essayé ses romans Les saisons de la Nuit, ou encore Zoli ? 🙂 C’est vrai qu’il est bon en nouvelles, Colum ^^
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un petit coucou pour te dire qu’il y a une interview de Colum McCann très sympa dans le Télérama de cette semaine. Bises 🙂
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Merci Frédéric pour l’info, c’est gentil d’avoir pensé à moi, je l’avais raté ! L’article est effectivement très chouette 🙂 Bises
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